Une grève inopportune
Les ravages causés par les conséquences des évènements du 11 septembre, et en particulier l’arrêt des vols Air Afrique vers les États-Unis, avaient aggravé la tension de trésorerie qui étranglait la compagnie. Rien de concret n’indiquait alors que des actions précises et efficaces étaient menées par l’équipe de liquidation pour réussir sa mission.
Une grève suicidaire
C’est dans cette situation apocalyptique que le personnel navigant de la Compagnie décida en Décembre 2001 de se mettre en grève, clouant ainsi au sol ce qui restait encore de la flotte de la Compagnie.
La raison officielle de cette grève était, en plus des retards de paiement des salaires, le non reversement par Air Afrique aux organismes d’assurance et caisses de retraite, de cotisations retenues à cet effet sur leurs salaires.
Derrière cette raison légitime avancée, se cachait selon les indiscrétions de certains navigants, leur volonté de manifester contre le retour des Directeurs de « l’équipe Billecart » réintégrés à leurs postes ou à des postes équivalents par Monsieur Marcel Kodjo. Il s’agissait en plus, et par dessus tout, pour cette corporation, selon ses dires, de démontrer que sans personnel navigant, il n’y avait pas de Compagnie. De plus il était affirmé par des navigants que la Nouvelle Air Afrique, selon Air France, conserverait tous les navigants, et que la réduction des effectifs ne concernerait que le personnel sol en nombre pléthorique.
Saisissant l’occasion inespérée que constituait la non exécution physique de vols par la Compagnie, les créanciers et assureurs crédit ont décidé de retirer les avions loués pour lesquels ils n’étaient pas payés et avaient la certitude de ne plus l’être. Saisissant cette occasion inattendue d’arrêt d’activité de transport aérien, la SITA mit fin à l’abonnement d’Air Afrique. En effet, tant qu’une compagnie, même débitrice opèrait des vols, la SITA était obligée de lui maintenir ses moyens de communications aéronautiques.
Air Afrique était devenue une Compagnie sans activité transport, que l’on venait de rendre sourde et muette : la Compagnie ne pouvant ni émettre, ni recevoir de messages, ni réserver, ni enregistrer automatiquement les passagers des compagnies assistées.
Dans les lieux où les abonnements téléphoniques n’étaient pas encore suspendus, les échanges avec le siège se faisaient au téléphone ou par fax. Certains lieux ont dû recourir au service de télé centres ou cyber cafés lorsque leurs lignes téléphoniques ont été suspendues pour retards ou non paiement de factures.
La principale et unique source de revenus de la Compagnie, restait le handling, c’est à dire l’assistance fournie au sol par le personnel d’Air Afrique aux Compagnies étrangères.
Lorsque la grève des équipages a pris fin, (décembre 2001), les délégués du Sénégal s’opposèrent à la remise en service des avions se trouvant au Centre Industriel de Dakar où ils étaient bloqués par la grève du PN. Ils réclamaient que la Compagnie s’engage sur trois mois, à régler à l’ensemble du personnel, la totalité des salaires, y compris des arriérés de salaires, et à reverser la totalité des cotisations sociales et assurances prélevées sur salaires et non encore reversées.
La situation des passagers lors de la disparition d’Air Afrique.
Les passagers découvrirent alors ce qu’était devenu le ciel africain sans leur Compagnie multinationale :
- Certains apprenaient avec ahurissement qu’il n’y avait plus de vol Air Afrique et qu’ils devaient rechercher une autre compagnie pour leurs voyages.
- D’autres, que leurs vols retours avaient été annulés et qu’ils devaient se « débrouiller », Air Afrique ne pouvant prendre en charge les frais de leur séjour prolongé de fait.
- Certains, selon les pays, pouvaient se faire rembourser la valeur de leur billets, d’autres devaient s’adresser à leurs agences ou “au Siège”.
- Malgré tout, ils avaient tous la même angoisse et le même objectif : à défaut de pouvoir voyager, au moins récupérer le prix des billets achetés ; cela n’a malheureusement pas été possible pour tous.
- Les traitements des litiges en cours, bagages perdus, fret livré partiellement ou pas du tout, litiges financiers non résolus, etc. tout a été suspendu pour être soumis au syndic liquidateur.
La Compagnie était asphyxiée et le personnel angoissé, certains agents étaient véritablement au bord de la dépression nerveuse. La Nouvelle Air Afrique apparaissait pour tout le monde comme la fin du cauchemar, la bouée de survie. Ceux qui pensaient y servir étaient relativement sereins. Ceux qui étaient sûrs de ne pas en faire partie se consolaient à l’idée de voir leurs droits liquidés, mais surtout de savoir que leur instrument de travail survivrait. Tous croyaient en la Nouvelle Air Afrique.
En plus de bloquer les avions de la compagnie, le personnel de Dakar menaçait de cesser toute assistance au sol en faveur des compagnies étrangères si leurs doléances n’étaient pas satisfaites.
Afin d’éviter toute perturbation dans le bon fonctionnement des services aéroportuaires tout en préservant la paix sociale entre employeur et employés, le Directeur de l’aviation civile du Sénégal, organisa une réunion tripartite, Administration, Direction Air Afrique et Représentants syndicaux.
À l’issue de longues et difficiles négociations menées entre les parties en conflit, il a été convenu, décidé et acté que :
- l’ensemble du personnel du Sénégal lié au traitement des vols des compagnies assistées, ainsi que le matériel d’escale d’Air Afrique était réquisitionné par l’État du Sénégal pour assurer la continuité des services, et ce jusqu’à nouvel ordre.
- la totalité des recettes générées par l’assistance des compagnies servirait à régler les problèmes de salaires soulevés par les employés.
- la Direction locale Air Afrique à Dakar devait organiser la collecte des recettes et assurer les dits paiements jusqu’à leur terme.
- les transferts de fond par la Direction Air Afrique vers le siège ne devraient intervenir qu’à cette échéance.
- Jusqu’à nouvelle instruction, les fonds produits par Air Afrique restaient propriété d’Air Afrique mais devaient être gérés comme décidé.
- un point régulier des réalisations devait être fait à la même assemblée par le Directeur d’Air Afrique.
La menace de grèves d’assistance au sol à Dakar s’étant révélée être « l’arme fatale », tous les syndicats locaux l’importèrent.
Dans son fond et dans sa forme, la décision du Sénégal a été reprise par plusieurs autres États Membres, ce qui leur permit d’y régler totalement les salaires, et les arriérés de salaires puis les droits de tous leurs travailleurs.
Le démembrement de la Compagnie par les États ou… le chacun pour soi et vive l’unité !
La seule déviation notoire de cette disposition a été celle de la Côte d’Ivoire. En effet, le Ministre Ivoirien des transports, Président du Comité des Ministres de tutelle de la compagnie, sur informations volontairement erronées de certains cadres et fonctionnaires intéressés, décida de réquisitionner la totalité du matériel et du personnel d’assistance en escale, MAIS de faire collecter les recettes produites par le trésor ivoirien.
Les recettes ont effectivement été collectées par le trésor, seulement, tous les agents en activité à Abidjan n’ont pas été payés. Seuls ceux en poste à l’escale eurent droit à un salaire. L’excédent de recettes a été ensuite affecté de manière discriminatoire à des bénéficiaires sélectionnés sur des bases opaques excluant les agents étrangers et certains agents ivoiriens…
Le personnel du siège « non productif de recettes d’assistance » fut exclu de la liste des « ayants droit ». Cette situation aboutit progressivement à la clochardisation de plusieurs agents d’Air Afrique à Abidjan. Ne pouvant plus se loger faute de pouvoir payer leurs loyers, certains agents n’eurent d’autre recours que de « squatter » leurs bureaux au siège administratif de la compagnie.
Devant la détresse des agents, les délégués du personnel ont eu recours à toutes sortes de solutions allant de la classique grève de revendication aux séances de prière collective en passant par le sacrifice « révélé » d’un bœuf vivant, avant de prolonger le mouvement par une grève de la faim dans l’enceinte de la cathédrale d’Abidjan.
Les explications données par le Ministre Ivoirien des Transports de l’époque, Monsieur Kabran Appia, étaient que « L’argent produit à Abidjan a été bloqué pour le soustraire à la mauvaise gestion de l’Air Afrique finissante (merci pour Monsieur Kodjo et son équipe) afin d’être affecté véritablement au paiement des salaires de ceux qui travaillent à l’aéroport, ensuite à celui des autres salaires d’Abidjan ».
« Je ne veux pas que vous, (les agents grévistes de la faim) soyez les dindons de la farce. Je ne veux pas que vous soyez manipulés par ceux qui ont des salaires énormes (et) qui souhaitent que cet argent soit versé dans les caisses pour se faire payer ». (Fraternité matin 26/06/02)
Le jour où l’on fera le bilan de la gestion des recettes produites par l’assistance, l’on se rendra sans doute compte que cet argument s’il était nécessaire, n’était pas suffisant.
Cette décision qui amputait la Compagnie d’une importante partie de ses recettes, en plus d’être contestable dans son fondement, car produite par des moyens appartenant à la multinationale, justifia ici et là, toutes les mesures prises localement par chacun des États.
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