Une sous-direction d’Air France décentralisée à Abidjan ?
La survie financière d’Air Afrique, sans l’aide des États Membres, lui semblant, nécessairement et obligatoirement, ne pouvoir passer que par un rapprochement avec Air France, tout laisse à penser que c’est cette seule solution que Monsieur Pape Sow Thiam a privilégié.
En effet, en plus de nouveaux accords conclus au plan commercial, le programme de vols prévu par la nouvelle équipe du Directeur Général pour la période allant du 29 Octobre 2000 au 24 Mars 2001, stipulait en introduction, puis dans les commentaires, que :
« Le programme hiver 2000-2001 représente une démarche particulière de la Compagnie pour deux raisons. D’une part à cause du projet code-share avec Air France, et d’autre part, du fait de l’exercice subséquent de rationalisation des ressources de la Compagnie… La particularité du programme hiver est le projet de code-share RK/AF, (projet) principalement bâti sur l’exploitation des 2 A330-300 desservant les axes DKR-CDG et ABJ-CDG. C’est après satisfaction de ces deux rotations et de leurs contraintes opérationnelles et commerciales, que le reste des faisceaux a été intégré. Ce programme repose fondamentalement sur les plages de HUB de CDG2 sur lesquelles sont positionnés les vols code-share AF et RK » (Comité programme 17 Août 2000)
NDLR : Que de formules savantes pour dire qu’on était entrain de se faire plumer sans garantie de contreparties réellement négociées.
En clair, il fallait d’abord satisfaire les exigences du code-share, y consacrer prioritairement les moyens adéquats, et “subséquemment”, adapter les moyens résiduels au reste du programme de la Compagnie.
Ainsi donc, et sans sourciller, notre Air Afrique choisissait d’offrir à son aimable clientèle au départ de Dakar et Abidjan, des vols long-courriers avec des standards différents en terme de qualité.
En effet, alors que partout dans le monde, tous les vols Air France offraient le même produit de la même qualité, seuls deux vols Air Afrique étaient effectués en « code-share » au départ de ces escale, les autres vols demeuraient être des “vols normaux” ne bénéficiant ni du confort des A330, ni des facilités commerciales liées au produit des vols en « code-share ».
Dans le même temps, les escales Air Afrique qui n’étaient pas desservies par des vols en « code-share », ne disposaient que du sous-produit qu’était devenu les vols du programme normal de la compagnie.
De plus l’introduction partielle de vols en « code-share » dans le programme d’Air Afrique aboutissait pour toutes les représentations de la compagnie, à la commercialisation de deux produits identiques dans leur finalité, mais différents en qualité et à des prix différents.
Concernant le démarrage effectif des vols en « code-share », un Directeur de Marché d’Air Afrique avait listé et expédié à son siège, une série de questions de fond qui se poseraient à lui, donc à toutes les représentations au plan de la politique commerciale et de la stratégie de la Compagnie vis-à-vis de la clientèle.
Au mois d’août 2000, ces questions, dont celles expliquées ci-avant, et bien d’autres, ont été clairement et longuement développées et commentées par lui lors de la réunion des Directeurs de Marché et représentants d’Air Afrique à Abidjan. Aucune réponse satisfaisante n’a pu y être apportée par la Direction Générale représentée par son Directeur de la Stratégie et de la Planification, ni par un cadre d’Air France spécialiste du code-share, détaché auprès d’Air Afrique.
Les mêmes questions ont été transmises par Air Afrique à Air France. En plus de n’avoir donné aucune réponse satisfaisante, Air France estimait, à juste titre, que l’ensemble de celles-ci ne concernait qu’Air Afrique, qui devait y répondre en fonction de sa politique, de ses choix et de ses options stratégiques.
Malgré cela, comme si la décision ne pouvait être reportée, Air Afrique a décidé de démarrer les vols de jour, puis le code-share au départ d’Abidjan et Dakar dans la précipitation et l’impréparation la plus totale.
Selon le Directeur Général, se fondant sur les conclusions des études de la Direction de la stratégie et de la planification, ce qui était attendu du code-share avec Air France à compter du 1er Avril 2001, exprimé en francs CFA par an, c’était :
– Une économie sur les coûts de production directe de trois milliards de CFA.
– Une économie sur les coûts de location d’avion (économie d’un avion) de trois milliards cinq cents millions.
– Des recettes additionnelles estimées à quatre milliards.
Si tel avait été réellement le cas, il n’y aurait rien eu à redire. À la vérité et comme d’habitude, nous ne parlions pas des coûts des décisions incluant les pertes de recettes ni des conditions préalables à la réalisation des résultats estimés, et mettions délibérément la charrue avant les bœufs… la facture ne tarderait pas à arriver.
En plus du code-share, Air France a expliqué, convaincu et obtenu d’Air Afrique qu’il fallait, pour que la Compagnie se redresse définitivement :
– Accepter le détachement dans plusieurs Directions Centrales de la Compagnie, de cadres d’Air France, regroupés pour l’occasion dans une structure dénommée « Air France Consulting », dont l’objectif avoué était d’accompagner les responsables en place dans la finalisation des critères de convergence, mais qui à l’usage, s’est avérée être une structure d’initiation puis d’infléchissement et d’encadrement des décisions de la compagnie.
– Abandonner la desserte de New York, desserte non rentable selon ses conclusions, et recentrer la flotte d’Air Afrique sur son « marché naturel… Afrique-France-Afrique ». L’arrêt par Air Afrique, des vols directs sur New York était une véritable obsession pour Air France. Il ne s’agissait que de la énième demande, la première à notre connaissance, non exécutée remontait à l’époque du Président Directeur Général Yves Rolland-Billecart. (1989)
– Arrêter son activité Charter, jusqu’alors assurée par Air Afrique Vacances, qui devait selon Air France, se concentrer sur les vols pèlerinages et réserver des “bloc-sièges” sur les vols réguliers.
– Opter pour une politique de fidélisation des clients calquée sur le même modèle que le sien. Cela au moins avait du sens car depuis belle lurette, nous ne savions plus comptabiliser pour les membres de nos clubs Air Afrique, les points acquis par eux.
– Réviser le mode de rémunération des agences de voyages au nom de la « Modernisation de la rémunération des Agences de Voyages » avec prise en compte de la « notion de management fee ». Le motif de cette demande était que désormais, via Internet, chaque client pouvait lui-même, organiser son voyage, se réserver, se faire émettre le billet, réserver son hôtel et une voiture, toutes choses qui justifiaient la commission versée par les compagnies aux agences de voyage pour la vente des billets. Alors qu’Air Afrique n’avait ni site WEB, ni référentiel horaire et tarifaire, ni programme de vols connus avec suffisamment d’anticipation, cette argumentation initiée par Air France a été adoptée et enregistrée à la lettre, puis récitée sans réserve à la manière d’un perroquet, par un Directeur de Marché d’Air Afrique qui s’en est fait le héraut auprès des agences de voyage dans les États membres.
Pourtant nous savions tous que cet argumentaire ne tenait compte ni de l’environnement informatique de l’Afrique, ni de la réalité de l’apport des agences de voyage, ni et surtout du soutien constant de ces agences dans les moments de perpétuelle perdition que traversait la Compagnie. C’est tout comme si aujourd’hui, on exigeait le GPS sur tous les véhicules en Afrique.
– Arrêter son exploitation cargo et opter pour une activité transport de fret qui se ferait en partie par achat de capacité des soutes des avions passagers d’Air France, et en partie, avec l’avion cargo A300-600 loué par Air France. En clair, Air Afrique n’aurait plus d’activité cargo en propre, et recevrait d’Air France des subsides correspondants au partage “équitable” de la marge réalisée par elle, désormais seule exploitante de vols cargos sur l’ensemble des marchés de la zone multinationale. Parallèlement, Air France Cargo, c’est à dire en réalité l’enclave cargo de l’ancienne compagnie UTA dans Air France, souhaitait que dans cette nouvelle forme de coopération, les deux Compagnies respectent scrupuleusement la notion de time-limit (Ce fameux time-limit) pour les facturations réciproques. Cette offre dénommée « banalisation de la flotte cargo » a été acceptée et a justifié en interne, lors de la diffusion du nouvel organigramme en juin 2000, la décision du Directeur Général, de supprimer la Direction Fret et Poste, et de la remplacer par une Division Fret rattachée à la Direction du Marketing et des Programmes. Pour la seconde fois, d’abord par Auxence Ickonga, puis maintenant par Pape Sow Thiam, Air Afrique supprimait cette Direction au profit d’une autre Direction déjà engluée dans ses multiples problèmes.
Derrière cette décision, le Directeur de la stratégie et de la planification, dont on murmurait qu’il aurait été pressenti par Air France pour être le futur Directeur Commercial d’Air Afrique, souhaitait “doper” les recettes de sa future Direction par la captation des recettes fret, sans Direction fret. (la fameuse théorie de la GOP)
À y regarder de près, la période de Sir Harry a été sans doute vécue et gérée par Air France, comme une pause venue ralentir sa marche vers la phagocytose réussie d’une Air Afrique désormais consentante.
Dans tous les domaines, Air Afrique la lilliputienne, acceptait résolument, en toute souveraineté et sans aucune réserve, de suivre le rythme imposé par Air France chaussée de ses bottes de 7 lieux. Être d’accord avec Air France semblait être le seul objectif réel de plusieurs cadres représentant Air Afrique lors des discussions avec cette Compagnie.
Aucune des dispositions stratégiques ainsi acceptées par la compagnie dans le cadre de la politique du code share avec Air France n’a conduit “subséquemment” à l’examen des problèmes commerciaux inévitables qui se poseraient à Air Afrique ni sur ses autres vols long-courriers non en code share, ni sur ses vols inter-états africains. À la lumière de la charte qualité des vols Air France, (donc de ceux avec Air Afrique en code share), examinons quelques exemples de problèmes évidents qui resteraient sans solution pour notre compagnie :
– En cas de non embarquement d’un passager réservé du fait de la compagnie, celui-ci était hébergé puis percevait une prime de 100 euros ou plus selon sa classe de voyage et était embarqué en priorité sur le vol du lendemain ; Air France avait un vol tous les jours, Air Afrique pas.
– En cas de retard supérieur à 6 heures, chaque passager était hébergé, et pouvait percevoir une prime en fonction de la durée réelle du retard selon sa classe de voyage.
– En cas de non livraison de son bagage à l’arrivée d’un vol, le passager concerné recevait une prime de première nécessité de 100 Euros ou plus selon sa classe de voyage, et le bagage à sa récupération lui était livré à domicile. Nous savions tous qu’Air Afrique n’avait pas les moyens de satisfaire une seule de ces clauses de qualité, même sur les vols en code share, à fortiori sur l’ensemble de son programme, et pourtant…
En attendant, et faute de paiement des créances, les dégâts financiers entraînés par l’option de mettre la charrue avant les bœufs, ont abouti à la saisie progressive par les créanciers et les assureurs-crédits, de certains des avions en location. D’abord en mai, ensuite en juillet 2000, les créanciers ont repris le Boeing 737 puis l’A-310.
Alors que la flotte se réduisait comme peau de chagrin, et que nous aurions tout à gagner à faire la politique de nos moyens en attendant des jours meilleurs, nous nous sommes acharnés puis avons fini par nous discréditer à vouloir poursuivre l’exploitation d’un programme qu’à l’évidence, nous ne pouvions tenir qu’au détriment de sa qualité et de sa régularité. Comme résultat de cet acharnement, la Compagnie eut à gérer un programme de vol erratique qui n’avait de “régulier” que notre entêtement à vouloir affubler de ce qualificatif convenu, ce qui était notre activité transport passagers.
Chaque jour apportait son anecdote :
– Un vol devait partir de Paris sans repas à bord pour cause de factures impayées chez SERVAIR notre prestataire. Cette situation inacceptable et humiliante pour le personnel navigant a conduit la chef de cabine dudit vol, à prélever sur ses propres deniers, environ 500 euros pour acheter au free-shop, des provisions et des boissons pour les passagers de “son” vol Paris N’Djamena Brazzaville.
– Un passager sénégalais, haut cadre et très attaché à “sa” Compagnie, fortuitement informé de ce qui retardait anormalement son vol en transit, avait spontanément offert sa carte de crédit pour permettre à l’équipage de régler le carburant que les pétroliers à l’escale de Banjul refusaient de fournir faute de paiement au comptant.
– Un commandant de bord effectuant le vol Abidjan Dakar New York exigea à la fin de l’embarquement des passagers à Abidjan, que la Compagnie s’engage à lui remettre sur ses arriérés de salaires, une avance de deux millions de francs CFA cash et en espèces lors de son transit à Dakar, faute de quoi il refuserait de poursuivre la rotation.
– Alors que les salaires du personnel accusaient des retards de plus en plus importants (pas pour tout le monde), les mutations de complaisance, les promotions internes, et surtout les missions dont certaines parfaitement insolites continuaient.
Citons pêle-mêle :
– la mission de 9 jours de 5 cadres inspecteurs chargés de l’exploitation, de l’administration du personnel et des finances, à Bissau rattaché au Marché Sénégal, escale desservie uniquement par 1 vol hebdomadaire, pour y “inspecter” 2 agents statutaires et 4 agents temporaires ;
– une mission pluridisciplinaire de 5 cadres à Bangkok pour le choix du type de vidéo à installer à bord des futurs avions de la flotte,
– ou cette autre mission conduite par un Directeur dans plusieurs États, pour y présenter aux autorités… « la maquette avec la livrée extérieure » des futurs avions de la flotte.
Cerise sur le gâteau, le directeur financier et son adjoint venant à Dakar pour la même mission, bien que réservés dans le même hôtel, parce qu’ils n’arrivaient pas sur le même vol, ont demandé et obtenu pour chacun d’eux qu’une voiture avec chauffeur leur soit louée.
Nous étions ridicules et inconscients !
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