L’aviation en Afrique de l’Ouest entre 1945 et 1960

(Voir l’aviation en Afrique Centrale entre 1945 de 1960)

En Afrique Occidentale, la situation est légèrement différente de l’Afrique Equatoriale. Deux fleuves majestueux et navigables : le Sénégal et le Niger desservent la région. Le réseau ferré est développé. Celui du Sénégal, adossé à la gare de Thiès, relie au nord Saint Louis et Linguère. Vers l’est, il dessert Bamako depuis 1924, s’arrêtant au passage à Touba, Kaolak, Tambacounda et Kayes au Soudan (futur Mali).

En Côte d’Ivoire, le réseau Abidjan/Niger rejoint Bobo-Dioulasso depuis 1934. Ouagadougou, capitale de la Haute Volta sera desservi 20 ans plus tard.

Citons également la ligne Conakry/Kankan en Guinée (1915) et le Cotonou/Niger qui s’arrêtera à Pakarou.

Comme en Afrique Centrale les investissements en équipements aéronautiques vont être importants. Avant la guerre, les quadrimoteurs Farman 220 assurant la ligne d’Amérique du Sud décollaient à la masse de 18 t. Les avions à venir ont des masses maximales de 33 t (DC-4) ou 48,5 t (Constellation). Seule la piste de Dakar est alors susceptible de recevoir ces appareils. Les couvertures radio (on passe du morse à la phonie) et météo sont à installer.

La puissance coloniale est dans une situation délicate. Le pays est en ruine et la Seconde Guerre mondiale n’est pas terminée que l’Indochine se soulève. Le gouvernement provisoire veut maintenir ses relations avec ses colonies.

L'AOF dans l'imaginaire de l'époque - Affiche AFSur le plan aéronautique, la compagnie Air France est nationalisée en juin 1946. Elle reprend les droits de l’Aéromaritime, de la Régie Air Afrique et de la Régie Malgache en Afrique. Elle possède 77 appareils complétement dépassés pour un réseau de 70 000 km. Exploiter des lignes long-courrier en JU 52 ou DC-3 relève de l’exploit et demande de la patience. En juin 1946, Air France met le DC-4 en service sur Dakar.

Malgré son soutien inconditionnel à la compagnie nationale, le gouvernement est contraint, comme en Afrique Centrale, d’accorder des droits de trafic à des entreprises privées.

Petit aparté : En mai 1948, quelque temps avant l’instauration d’Air France en Compagnie Nationale, le gouvernement français avait envisagé deux compagnies en Afrique : « Air AOF, excepté le Togo » et « Air AEF plus le Cameroun ».

Là encore on voit l’éclosion de compagnies éphémères. Alpes Provence effectue des vols à la demande sur le Niger. Aigle Azur [1]Aigle Azur est la troisième compagnie privée française à survivre à l’éclosion spontanée d’après-guerre. Mais à l’époque, l’empire est trop petit pour quatre compagnies dont une est … Continuer la lecture ouvre des lignes sur le Sénégal. La SATI, effectue des vols sur Dakar et de là, les premiers pèlerinages sur la Mecque. Équipées d’appareils dépassés, elles ne tiendront pas longtemps. La T.A.I. ouvre Bamako et Abidjan en 1948. On apercevra ponctuellement des Armagnac à Dakar. Après avoir, en 1947 transporté les pèlerins marocains et algériens vers Djeddah, la compagnie le fait, par la suite, au départ de Dakar et de Niamey.

Air France ne pouvant s’opposer au retour des Chargeurs Réunis, passe un accord avec eux. Une prise de participation de 40 % dans le capital d’U.A.T (Union Aéromaritime de Transport) et la représentation d’Air France partout où les Chargeurs sont présents.

Coté infrastructures, le nouveau terrain de Dakar Yoff offre deux pistes en dur de 2400m et 2000m, alors que celle d’Abidjan peut également accueillir les Comet. En 1954, l’A.O.F et le Togo comptent 99 aérodromes dont 10 seulement sont accessibles aux Constellation ou DC-4. Quelques pistes sont équipées de balisage de nuit (Dakar, Niamey, Gao et Lomé). Les autres utilisent les « goose necks » (Sorte de lampes à pétrole allumées avant l’atterrissage !)

Comet à Dakar Comet à Dakar

Bien sûr, Dakar est (et restera jusqu’au milieu des années 70) l’escale incontournable vers l’Amérique du Sud. Air France y revient le 1er juin 1947. De là, le réseau local, essaimera vers l’intérieur. En 1950, 22 500 passagers empruntent les lignes métropole/A.O.F. Ils seront 37 500 trois ans plus tard. Le trafic inter A.O.F passe dans le même temps de 50 400 à 57 400 passagers. En 1953 l’aéroport le plus fréquenté est, sans surprise, Dakar (6 900 mouvements) suivi d’Abidjan (2 100), Niamey (1 800), Bamako (1 600), Conakry (1 500) et Lomé (1 300).

Coup de tonnerre dans le microcosme aéronautique français, en 1952, l’U.A.T passe commande de trois appareils « à réaction », des Comet construits en Grande Bretagne par De Havilland. Air France qui n’a pas été consulté prend très mal les choses. La rupture est consommée. La compagnie nationale commande également trois Comet et cède sa participation dans l’U.A.T. aux Chargeurs. L’U.A.T réceptionne le premier appareil (F-BGSA) en décembre 1952 et le met en ligne le 27 décembre. Dakar (via Casablanca, le Comet I n’est qu’un moyen-courrier) est à seulement 8 h de Paris. Abidjan relié en avril 1953 (via Casa) à 8 h 30. Le troisième avion (F-BGSC), mis en service le 9 mai 1953 connaît une existence très brève, puisque le 25 juin suivant, il efface la piste en se posant à Dakar. Le train brisé, il termine sur le ventre sans dommage pour les passagers. Irréparable, il sera démantelé sur place.

L’arrêt de vol des Comet en 1954 suite à deux accidents dramatiques met l’ U.A.T dans une situation délicate. Heureusement soutenue par son actionnaire le groupe Chargeurs Réunis, la compagnie acquiert dans l’urgence des DC-6 qui deviennent les avions de base de la compagnie jusqu’à la mise en service en 1960 du quadriréacteur DC-8.

La route du Sénégal

Hôtel de la poste - Saint-Louis au milieu des années 50Du fait du réseau ferré, peu de localités sénégalaises sont desservies par l’avion. Saint Louis (capitale du Sénégal jusqu’à l’Indépendance) est en escale sur les routes de Mauritanie. Matam, sur le fleuve, entre Nouakchott et Bamako et bien sûr Ziguinchor qui est complétement excentré et que l’on ne peut rejoindre qu’en traversant la Gambie et le bac de Mansa Konka, ou l’immense détour via Tambacounda. Aigle Azur également se pose à Dakar. Dès 1951, on peut voir les Stratoliner à Yoff. U.A.T à la mise en service du Comet, développe un petit réseau local grâce à un autre appareil construit par De Havilland, le DH 114 Héron [2]Il existe plusieurs versions autour de l’achat des neuf Hérons par U.A.T : Ce serait en visitant les usines De Havilland en vue de la commande des Comet que l’équipe d’U.A.T aurait découvert … Continuer la lecture . Ce petit quadrimoteur de 15 à 17 places se révélera très utile.

Stratoliner Aigle Azur - Col Pascal Bart Stratoliner Aigle Azur

Héron en Mauritanie - Col Aimé Brun Héron en Mauritanie

À ma connaissance, il n’y a pas eu d’autre compagnie locale dans la sous-région Sénégal, Mauritanie, Soudan (Mali) et Guinée à cette période.

La route de Cote d’Ivoire

DC-4 TAIParadoxalement, c’est la T.A.I qui se pose la première à Abidjan le 24 juillet 1948 grâce à l’un de ses DC-4 (premier quadrimoteur civil à y poser les roues). La compagnie nationale, Air France, ne dessert alors la Côte d’Ivoire que par une correspondance depuis Dakar. Ce premier vol de la T.A.I, opéré par un avion moderne, contraint Air France à ouvrir une ligne régulière en 1951.

Aigle Azur cherche à se placer également et lance la liaison Paris Alger Gao Abidjan. Elle tente de s’équiper d’avions légers en Guinée et Cote d’Ivoire.

C’est en 1952 que la T.A.I débute l’exploitation. Un an plus tard le moderne DC-6B remplace le DC-4 vétéran de la guerre. Deux liaisons hebdomadaires via Bordeaux ou Marseille. U.A.T se lance également sur la desserte de la Côte d’Ivoire.DC-6B TAI Orly 31 mai 1957

La concurrence entre les trois compagnies est rude. Les accords de Peira Cava (près de Nice) négociés entre Air France et Francis Fabre patron des Chargeurs, tentent de mettre un peu de régulation dans tout cela, au bénéfice bien sûr des deux négociateurs. Le gouvernement et la T.A.I se trouvent devant le fait accompli.

DC-6 TAIParallèlement dès 1956, la T.A.I fonde Air Ivoire équipée d’antiques biplans Dragon Rapide. Les villes principales sont reliées à la capitale. En 1957 T.A.I inaugure Niamey en DC-6B. En 1960, avec la mise en service des DC-8 sur son réseau Extrême Orient, Les DC-7C opèrent sur Abidjan. C’est le 11 septembre 1960 que le premier DC-8 de la T.A.I se pose à Port Bouet.

Publicité TAIAir Ivoire est à ma connaissance la seule compagnie intérieure de cette sous-région (Cote d’Ivoire, Niger, Haute Volta (actuel Burkina Faso), Dahomey (Bénin).

On sait qu’à la création de l’éphémère Communauté Française (1958), la Guinée dit non au référendum proposé et se voit rejetée. (A noter que le Cameroun et le Togo, territoires sous tutelle n’étaient pas concernés). Très vite, divers états proclament leur indépendance (1960). En Afrique de l’Ouest la Fédération du Mali (Sénégal, Soudan, Haute Volta, Dahomey) connaîtra une brève existence avant que chacun ne proclame son indépendance. Le Soudan qui garde le nom de Mali ne participera malheureusement pas à la construction d’Air Afrique et créera sa propre compagnie.

Jacques JULIEN



    Sources principales :

  • Les Ailes Françaises, l’aviation marchande de 1919 à nos jours de H. Mézière et J.M. Sauvage
  • Aviateurs d’empire de D. Lagarde éditions La Régordane
  • L’Echo revue de l’amicale UTA

Références

Références
1 Aigle Azur est la troisième compagnie privée française à survivre à l’éclosion spontanée d’après-guerre. Mais à l’époque, l’empire est trop petit pour quatre compagnies dont une est en situation de quasi-monopole. Aigle Azur a un réseau trop dispersé. Une ligne sur Dakar, une autre sur Abidjan, la troisième sur Madagascar et enfin vers l’Indochine où la compagnie réalise le plus gros de son trafic. Après la perte de l’Indochine, le patron, Sylvain Floirat propose la vente de sa compagnie à l’U.A.T.
2 Il existe plusieurs versions autour de l’achat des neuf Hérons par U.A.T : Ce serait en visitant les usines De Havilland en vue de la commande des Comet que l’équipe d’U.A.T aurait découvert cet élégant petit appareil, idéal pour son réseau africain. Une autre version plus prosaïque, prétend que la commande des Héron aurait permis à l’U.A.T de gagner quelques places dans l’ordre de livraison des Comet.

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